Arbitrage au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Est-ce possible ?

7 mars 2023 - Dr. Christian Steiner

I. Ce que vous devez savoir sur l’arbitrage au Moyen-Orient et en Afrique du Nord :

C’est le cauchemar de tout entrepreneur  de voir ses désaccords avec son partenaire commercial finir devant les tribunaux. Le risque d’en arriver là est sans aucun doute plus élevé lorsque des cultures commerciales très différentes se rencontrent, et ce d’autant plus dans un environnement économique et politique volatil comme celui que l’on trouve dans certains pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA). Il est donc d’autant plus important de consigner les accords en bonne et due forme et de prévenir les risques annexes. La décision concernant le lieu de juridiction, le droit applicable et, le cas échéant, le recours à l’arbitrage constitue un aiguillage important. C’est un réflexe compréhensible de la PME européenne de s’en remettre plutôt à son propre droit et à ses propres tribunaux. Toutefois, ce choix n’est pas nécessairement le plus conforme à ses propres intérêts. En effet, il faut également tenir compte de la force exécutoire des titres étrangers ou des sentences arbitrales, ainsi que de la question de savoir si, dans la relation contractuelle concrète, il est plus probable de porter plainte soi-même ou d’être poursuivi en justice.

II. Principes, avantages et inconvénients du règlement international des litiges par l’arbitrage

Les avantages et les inconvénients de l’arbitrage peuvent être brièvement résumés : Celui qui peut participer lui-même à la composition du tribunal, au choix du lieu de réunion, du droit matériel et procédural applicable, de la langue de la procédure, etc., a plus de chances d’obtenir un jugement équitable par une formation de jugement indépendante et impartiale, notamment dans les États où les juridictions sont faibles. Des institutions d’arbitrage bien établies garantissent une efficacité et une efficience relatives. Et grâce à la Convention de New York de 1958 pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, la sentence est exécutoire dans une grande partie du monde, y compris dans la région MENA (sans la Libye, le Yémen et l’Irak). Ce n’est pas pour rien que l’arbitrage est populaire dans les pays exportateurs.

En termes de durée et de coûts, il convient certes de faire une distinction. Une procédure d’arbitrage est rarement plus courte qu’une procédure judiciaire en première instance, mais elle ne comporte qu’une seule instance et est donc régulièrement plus courte que deux ou même trois instances devant les tribunaux étatiques. Comme devant ces derniers, la durée de la procédure d’arbitrage dépend en grande partie des parties elles-mêmes, qui peuvent prolonger artificiellement une procédure par des contre-interrogatoires extensifs ou l’utilisation de tactiques dites de guérilla (en particulier la surcharge de la phase dite de production de documents). Il ne faut pas non plus oublier qu’une sentence arbitrale peut généralement être contestée devant les tribunaux étatiques et qu’elle doit en tout cas être déclarée exécutoire. Les coûts minimaux d’une procédure d’arbitrage sont relativement élevés, car il faut financer non seulement l’institution d’arbitrage, mais aussi les juges et les représentants des parties. Tout est privé. Plus la valeur du litige est élevée, plus la procédure d’arbitrage est rentable. En cas de doute sur les sommes en jeu, il est donc recommandé d’inclure une clause d’arbitrage dans le contrat. Si l’enjeu financier est faible, le règlement privé des litiges ne vaut pas la peine, à moins que d’autres raisons, telles que la confidentialité ou des structures judiciaires clairement déficitaires, ne plaident en sa faveur.

IV. Droit civil vs. Common Law

Même si les défenseurs de la tradition juridique anglo-américaine veulent nous faire croire que seul un contrat de 50 pages est un contrat ordinaire, on peut y renoncer en toute bonne conscience si l’on parvient à convaincre le cocontractant d’appliquer le droit continental européen – pourquoi pas le droit allemand ? – comme étant le droit applicable. La loi contient en effet l’essentiel et les tribunaux ont décidé du reste. Cette juridiction (Anmerkung : In der deutschen Fassung heißt es « Dieser Besitzstand gewährt… ». Soll es eigentlich Gerichtsstand heißen ?), si elle est incluse dans le contrat avec la clause de choix de loi correspondante, garantit un haut niveau de sécurité juridique et permet d’économiser des coûts lors de la rédaction des contrats. L’ambivalence entre le droit civil et la Common Law concerne également l’arbitrage, raison pour laquelle il est également recommandé de faire un choix explicite concernant les règles de procédure applicables.

V. L’arbitrage en « Orient » ?

Mais comment se présente l’arbitrage dans la région MENA ? Comment l’entrepreneur allemand doit-il se positionner, à quoi doit-il s’attendre ? Le règlement extrajudiciaire des litiges remonte à loin, même dans les pays d’influence arabe. Le devoir de résoudre les conflits de manière conciliante (sulh) est profondément enraciné dans la culture islamique. Chez nous, en Occident, l’individu et sa liberté sont au centre des préoccupations. Dans le monde des affaires, l’homme d’affaires occidental ne jure que par le triptyque suivant : procès équitable, solidité des accords contractuels et liberté d’entreprise. La résolution des conflits basée sur le contrat et la loi devant un tribunal ou une cour d’arbitrage est la norme.

Dans les pays islamiques, la situation est (encore) différente : la relation personnelle entre les parties contractantes est plus importante que la relation juridique. Les relations commerciales sont moins soumises à des dispositions contractuelles et légales claires, mais possèdent une forte composante interpersonnelle. Il s’ensuit que les conflits ont tendance à être résolus par la négociation et la médiation. L’obligation morale de parvenir à un accord à l’amiable ne se limite pas au monde des affaires, mais s’étend également aux mécanismes de règlement des litiges et à l’arbitrage mis en place par les États. Toutefois, dans les pays à forte présence internationale, l’approche occidentale de la résolution des conflits sur la base de règles s’est largement imposée dans les tribunaux spécialisés dans le commerce et l’investissement. Il convient de noter en passant que la culture juridique allemande n’est pas non plus étrangère aux solutions équitables et négociées, dans lesquelles aucune des parties n’est laissée pour compte : ce n’est pas seulement pour s’épargner de la paperasserie que les tribunaux allemands s’efforcent de plus en plus de trouver des accords judiciares.

Certains pays de la région MENA s’efforcent de mettre à jour leur droit national de l’arbitrage et les tribunaux se montrent de plus en plus enclins à exécuter les sentences arbitrales, que ce soit en application de la Convention de New York ou en vertu d’accords régionaux, notamment les accords de Riyad et du Conseil de coopération du Golfe. En revanche, il existe toujours des jugements rendus par des tribunaux étatiques qui se déclarent compétents malgré des conventions d’arbitrage valables ou qui refusent de les reconnaître et de les exécuter en vertu de la règle de l’ordre public.

Trois ans après le début de la pandémie mondiale de Covid19, la plupart des centres d’arbitrage de la région MENA ont continué à développer leur infrastructure numérique au profit des justiciables. Les audiences se déroulent souvent sans présence physique et la transmission des documents est également possible par voie électronique. Le développement le plus remarquable est certainement le regroupement des différents centres d’arbitrage à Dubaï dans le but de limiter le nombre de centres d’arbitrage dans l’émirat et d’offrir des services pertinents via une plateforme unique, le Dubaï International Arbitration Centre (DIAC). 

Malgré la pandémie, la région MENA reste particulièrement active dans le domaine de l’arbitrage international. Selon la Global Arbitration Review 2022, parmi les 2507 parties qui ont saisi la CCI en 2020, 19% étaient originaires du Moyen-Orient et d’Afrique. Les pays comme les EAU, l’Arabie saoudite et le Qatar font partie des nationalités les plus représentées entre les parties, ce qui souligne la propension à régler les litiges par des procédures alternatives extrajudiciaires dans cette partie du monde.

VI. Avantageux surtout pour les sommes importantes

Il y a donc tout lieu de garantir les investissements importants dans la région par des clauses d’arbitrage. Il faut alors décider si l’on veut recourir aux institutions européennes renommées ou faire confiance à une instance locale ou régionale. Car il y en a aussi. Dans le Golfe, les juridictions offshores des EAU, le Dubaï International Financial Centre (DIFC) et l’Abu Dhabi Global Market (ADGM), sont les lieux d’arbitrage privilégiés. Leurs règles d’arbitrage sont basées sur la loi type de la CNUDCI, avec une influence sensible du droit de l’arbitrage anglais. Comme mentionné plus haut, plusieurs centres d’arbitrage à Dubaï, dont le Dubaï International Financial Centre Arbitration Institute (DAI) et l’Emirates Maritime Arbitration Centre (EMAC), ont été dissous fin 2021 et transférés dans une plateforme commune, le DIAC. Un règlement d’arbitrage du DIAC a été spécialement adopté à cet effet au printemps 2022. Le DIAC a néanmoins réussi à poursuivre les procédures en cours auprès des centres d’arbitrage supprimés conformément à leurs règles. En juin 2021, le Centre d’arbitrage du marché mondial d’Abu Dhabi (ADGMAC) a mis en place son protocole d’audition par voie électronique en réponse à la pandémie de Covid19, avec toute une série de dispositions procédurales et logistiques.

La plus grande tradition d’arbitrage de la région est celle de l’Égypte, qui a signé de nombreuses conventions en la matière et a adapté son droit de l’arbitrage aux normes internationales dès 1997. La jurisprudence peut également être qualifiée de favorable à l’arbitrage. Depuis 1979, les litiges peuvent être soumis au Centre régional du Caire pour l’arbitrage commercial international (CRCICA).

Il existe également un certain nombre d’options au Maroc, comme le Centre de Médiation et d’Arbitrage de Casablanca (CMAC), le Centre International de Médiation et d’Arbitrage de Casablanca (CIMAC) ou la nouvelle Cour Africaine de Médiation et d’Arbitrage (CAMAR) à Marrakech pour les litiges relatifs aux investissements et au commerce en Afrique. Le pays a récemment révisé en profondeur son droit national de l’arbitrage en adoptant une loi dans ce domaine. La loi 95-17 relative à l’arbitrage et à la médiation, entrée en vigueur à la mi-2022, a pour objectif d’établir des modes alternatifs de règlement des litiges et de promouvoir et consolider l’importance du Maroc en tant que place d’arbitrage internationale. Dans ce contexte, la loi adapte les règles relatives à l’arbitrage et à la médiation aux normes internationales et aux progrès technologiques, notamment dans le domaine des communications électroniques.

Le choix d’une institution d’arbitrage locale comme gestionnaire de la procédure peut réduire les coûts par rapport aux classiques européens et simplifier la force exécutoire si la sentence arbitrale est traitée comme un jugement national. La qualité des arbitres et de la procédure ne doit pas en souffrir, à condition que les parties conservent leur influence sur la composition de la formation de jugement par le biais d’une clause d’arbitrage appropriée.

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